Robert BOUILLER ,
consevateur du Musée Alice Taverne d’Ambierle,
nous parle des vignes de la Côte Roannaise à la Loire
En marge de quelques instants vidéo…
Avoir choisi la cave de Yann Palais, juste en-dessous du bourg d’Ambierle, était judicieux pour évoquer le passé du vignoble qui doit beaucoup aux Bénédictins installés là-haut dans leur monastère jusqu’à la Révolution.
Grâce au jeune vigneron qui nous accueillait, les ceps ont à nouveau envahi le versant formant un trait d’union entre les maisons et ce vigneronnage blotti près d’un étang, au creux du vallon, avec sa vieille
grange qui nous replonge de suite dans l’Ancien Régime.
La découverte d’un masque de Silène, père nourricier de Dyonisos, sur
l’emplacement au bas d’Ambierle d’une villa gallo-romaine du IIe siècle,
pourrait faire remonter le vignoble à l’antiquité. Il se constitue pourtant
plus tard, durant le Moyen Age, et c’est seulement à partir des XVI-XVIIe
siècles que l’abondance des documents permet de suivre la commercialisation.
Le magnifique alignement de tonneaux neufs installés sur des soutres en
pierre, dans la cave de Yann Palais, nous conduit directement à parler des
convois qui se dirigeaient vers la Loire pour expédier le vin à Paris, par
le fleuve d’abord et le canal de Briare ensuite. Cette commercialisation
importante, à fût perdu, donnait du travail aux nombreux tonneliers
installés dans les villages. La corporation avait choisi d’honorer sainte
Madeleine pour patronne – car « elle avait pleuré un tonneau de larmes »,
disait Alice Taverne aux visiteurs de son musée.
Ces tonneaux rappellent aussi une anecdote. Jadis, juste avant le repas,
on envoyait souvent le gamin ou la gamine à la cave, tirer la chopine de
vin. Un jour, dans une famille, la fillette ayant posé la bouteille sur la
table s’asseoit à sa place et ouvre la bouche :
« – Papa, je…
– Tais-toi, les enfants ne parlent pas à table.
– Mais, je…
– Je te dis de te taire ! »
A la fin du repas, elle eut enfin la permission de s’exprimer : elle
n’avait pas pu fermer le robinet !
On surprend toujours les étrangers en leur expliquant que l’invasion du
phylloxera fut une période prospère : car l’insecte mit du temps, d’abord à
franchir le fleuve, ensuite à s’installer. Les concurrents anéantis
cherchaient des solutions. Mais il y eut des revers, les mauvaises années
précédant la Grande Guerre et la longue désaffection pour le vin de la Côte
– qui avait peut-être mérité des reproches… Le renouveau est arrivé grâce
à l’encouragement de quelques grands noms.
Les vignerons ont-ils des mœurs particulières ? On les accuse d’être
farouchement indépendants et d’avoir si mal joué le jeu collectif que leur
cave coopérative de l’après-guerre n’a pas résisté. Les nouvelles
générations, « qui font de la bouteille », ont su tirer les leçons du passé,
savent jouer leur jeu mais s’unir quand il est besoin. C’est ainsi que
l’Association Vinicole Roannaise a pu décrocher le label convoité si
longtemps de l’A. O. C. Ce qui n’empêche pas certains d’innover, guidés par
une science plus affirmée que leurs anciens. La Confrérie du Vieux Pressoir,
créée par Paul Lapendéry, réunit toutes les générations et bien des amateurs
locaux du vin, spécialement lors de la Saint-Vincent, un dimanche proche du
22 janvier, pour goûter les dernières cuvées en mangeant un morceau de la
brioche en forme de bonhomme Vincent, désormais bien connue. Souhaitons leur
pendant des lustres encore, de pouvoir procéder à ce rituel dans la bonne
humeur !