Signac, le pointillisme expliqué en trois (petits) points
Le Musée des impressionnismes de Giverny a consacré une grande expo au plus connu des pointillistes. L’occasion de se pencher sur les théories scientifiques à l’origine de son œuvre.
Paul Signac, « Rotterdam. Les fumées », 1906. Huile sur toile, 73 x 92 cm.
De près, on ne voit que des points de couleur. Mais en s’éloignant… magie ! Une image apparaît. C’est le principe d’un mouvement pictural qui s’amuse à jouer avec notre perception : le divisionnisme, et plus particulièrement le pointillisme. L’un de ses plus célèbres représentants, avec Georges Seurat (1859-1891), a pour nom Paul Signac (1863-1935). A l’occasion du 150e anniversaire de sa naissance, le Musée des impressionnismes de Giverny (Eure) organise une grande exposition : « Signac, les couleurs de l’eau ». En tout, une centaine d’œuvres, des peintures mais aussi des aquarelles et des dessins moins connus, sont présentées. L’occasion de comprendre comment procédait ce peintre, qui abordait son art en scientifique.
L’idée de peindre en appliquant sur la toile des petites touches de couleur vous rappelle sans doute un autre courant : l’impressionnisme. De fait, la plupart des pointillistes sont d’abord passés par une phase impressionniste. Et c’est même une exposition de Claude Monet qui détermine, en 1880, la vocation de Paul Signac, profondément ému devant « les gares, les bateaux, les rues pavoisées » recréées par le maître à petits coups de pinceaux. Autre point de rapprochement entre l’impressionnisme et le pointillisme : les deux mouvements vont chercher leurs sujets d’inspiration dans la vraie vie, en plein air. Mais attention, leurs techniques divergent radicalement.
Paul Signac, « Concarneau. Calme du soir (allegro maestoso). Opus 220 », 1891. Huile sur toile, 64,8 cm x 81,3 cm.
Observez bien ci-dessus cette vue du port de Concarneau selon Paul Signac et comparez-la à la toile impressionniste de Claude Monet représentant Etretat. La différence est flagrante. Les impressionnistes mélangent les touches de couleurs sur la toile tandis que les pointillistes disposent méthodiquement des points colorés les uns près des autres. C’est en nous éloignant de la toile que nous recomposons la scène.
Détail de « Concarneau. Calme du soir (allegro maestoso). Opus 220 », de Paul Signac, 1891.
Huile sur toile , 64,8 cm x 81,3 cm.
C’est le cas ici, dans la prairie au premier plan de Concarneau, comme nous pouvons le voir sur ce zoom de la toile de Paul Signac. On peut imaginer à quelle point cette technique, à coups de petites et régulières touches de peinture, est longue et exigeante. Elle rebuta d’ailleurs plusieurs peintres, dont Henri Matisse. Il faut ainsi plus d’un an et la réalisation d’une soixantaine d’études à Georges Seurat pour terminer son chef d’œuvre, Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte.
Mais pourquoi s’imposer un tel labeur ? Les pointillistes étaient certains qu’en s’appuyant sur les théories scientifiques de l’époque concernant les phénomènes optiques (celles d’Eugène Chevreul, de Charles Blanc, ou d’Ogden N. Rood et Charles Henry), ils pourraient révolutionner leur art. Et ils ont réussi. La preuve en image.
Paul Signac, « Application du cercle chromatique de Mr. Ch. Henry.
Observez cet hommage de Paul Signac au Cercle chromatique, un ouvrage écrit par Charles Henry. L’œuvre reprend une idée du livre : les couleurs peuvent être réunies en fonction de leur proximité les unes avec les autres. Cette figure est très pratique pour trouver celles qui s’accordent harmonieusement entre elles. En prenant des teintes opposées sur le cercle, on peut ainsi utiliser des couleurs complémentaires.
En mariant vert et rouge, en rapprochant jaune et violet ou bleu et orange, on obtient des contrastes forts qui semblent augmenter l’intensité de chacune des teintes. Maintenant, regardez à nouveau le petit paysage composé par Paul Signac ci-dessus : le ciel rouge est confronté à l’horizon vert, les bateaux jaunes à la mer violette, le pull bleu à des reflets orange… c’est une pure illustration de l’utilisation des complémentaires, qui permet de faire « vibrer » les couleurs.
Pour Georges Seurat et Paul Signac, le rapprochement des complémentaires n’est qu’un des moyens d’obtenir des combinaisons de couleurs harmonieuses dans un tableau. L’autre solution ? Utiliser différentes intensités d’une même teinte.
Paul Signac, « La Bouée rouge, Saint-Tropez », 1895. Huile sur toile, 81 cm x 65 cm.
Regardez cette vue du port de Saint-Tropez. On retrouve le contraste entre le bleu et l’orangé. Mais à l’intérieur du bleu, par exemple, on note une multitude de petites touches qui n’ont pas exactement la même intensité. L’utilisation de ces différents bleus fait toute la complexité et la richesse du tableau.
Paul Signac, « Rotterdam. Les fumées », 1906. Huile sur toile, 73 x 92 cm.
La marine ci-dessus permet de comprendre une autre idée essentielle du pointillisme. Le scientifique Ogden N. Rood a fait une expérience simple et passionnante : il a posé un peu de peinture rouge à côté d’un peu de peinture bleue sur un disque tournant. D’autre part, sur une surface fixe, il a mélangé les mêmes pâtes colorées bleue et rouge. Surprise : le pourpre obtenu en tournant la roue était beaucoup plus clair que celui réalisé en mêlant les pigments ! De fait, tout mélange concret tend à assombrir la palette du peintre, tandis qu’en recréant les teintes par mélange optique dans la rétine du spectateur, on conserve leur luminosité. Signac a tenté de mettre en application cette théorie, en « trichant » un peu puisqu’il utilise également des couleurs obtenues sur sa palette. Notez comme le paysage ci-dessus semble clair, presque rayonnant : il aurait été difficile d’obtenir le même effet en mélangeant simplement les couleurs sur la toile.
La science n’empêche pas l’émotion
Est-ce à dire que les toiles pointillistes sont de simples et froides applications de théories scientifiques ? Non évidemment, comme l’explique Paul Signac, la technique se met d’abord au service de la sensation du peintre. Voilà pourquoi on ressent des émotions si contradictoires face à ces deux toiles réalisées à partir des mêmes théories.
Paul Signac, « Voiles et pins », 1896. Huile sur toile, 81 x 52 cm.
Paul Signac, « Herblay. Coucher de soleil. Opus 206 », 1889.
La première, très agitée, fait rugir les couleurs quand la seconde se révèle beaucoup plus sereine. Autre preuve que le pointillisme est avant tout affaire de sensibilité et n’aboutit pas à une production impersonnelle.
Extraits de Franvetvinfo